Juste un ksana
Triệt Như - Publié le 26/09/2025
Dans ce qui suit, nous ne parlons pas de quelque chose de lointain ou d’énigmatique, mais simplement de la réalité ordinaire de notre quotidien. Pendant notre enfance, nous profitons simplement du temps, mangeant et dormant sans nous soucier de rien d’autre. Au collège ou au lycée, nous étudiions avec assiduité, obéissions aux instructions de nos parents. L’avenir semble grand ouvert devant nous. Nous rêvions peut-être de faire du commerce et de devenir riche, ou de devenir médecin ou ingénieur. Si nous étions des filles, nous espérions probablement rencontrer un prince charmant qui nous aimerait toute notre vie. Nous pouvions aussi avoir des rêves plus simples, comme devenir une enseignante adorée par ses élèves, tout comme nous chérissions nos propres professeurs.
À l’université, tous nos rêves se concentraient sur les études, nous mettions tous nos efforts dans l'obtention de notre diplôme afin d’entrer sereinement dans la vie, remercier nos parents et fonder notre propre famille. Etapes par étapes, nous construisions ainsi notre vie. Parfois, les choses se passaient comme nous le souhaitions ; mais la plupart du temps, ce n’était pas le cas.
Jusqu’à présent, nous avions traversé notre existence dans un rythme effréné et acharné pour gagner notre vie jour après jour, semaine après semaine, mois après mois, année après année. Nous ne ressentions plus l’euphorie du réveillon du Nouvel An, plus le plaisir pour nous habiller et aller au temple, ni l’enthousiasme à l’arrivée de l’été à la fin de l’année scolaire pour aller à la plage sous le soleil éclatant d'un ciel bleu. En regardant dans le miroir, nous voyons nos cheveux devenir gris. En réfléchissant à notre vie frénétique, nous nous demandons ce qui nous reste entre nos mains.
Absolument rien ! Rien dans le présent. Le passé est également révolu. Tous nos êtres chers sont partis. Rire ou pleurer n’a plus de sens. Le futur appartient au futur, comme un lendemain qui ne viendra jamais.
En y pensant bien, savons-nous que notre vie est presque arrivé à son terme ? Avons-nous réellement vécu ? N’avons-nous jamais mené une véritable vie ? Jeunes, nous ne faisions que rêver à notre vie à venir. Dès les premiers jours de la rentrée scolaire, nous nous inquiétions déjà des examens de fin d’année. Une fois ceux-ci passés, nous attendions impatiemment les vacances d’été. Au travail, nous attendions les jours de repos de fin de semaine, les jours de paie et les congés annuels. Mariés, nous souhaitions que nos enfants grandissent vite, réussissent leurs études et obtiennent rapidement leur diplôme.
Notre esprit se projette toujours dans le futur avec espoir et rêve. De même, il regarde le passé avec nostalgie. Dans le présent, nous sommes pris dans le tourbillon du travail et dans les attentions quotidiennes à procurer à nos proches, enfants, parents et frères et sœurs. Notre vie s’écoule ainsi, année après année. Probablement ainsi depuis plusieurs vies, c'est pourquoi, nous sommes toujours là pour accomplir la leçon de « l'éveil ».
Nous venons seulement de comprendre que nous avons bougé, parlé et ri comme des somnambules toute notre vie. En y réfléchissant bien, nous découvrons que nous avons été des marcheurs endormis non seulement dans cette vie, mais dans d’innombrables vies. Nous avons vécu, pensé, communiqué et agi sans réaliser clairement que nous étions dans de longs rêves. C’est pourquoi notre vie n'est qu'une suite de pleurs et de rires. En nous réveillant les mains vides, nous réalisons que nous venons de sortir d'un rêve.
La leçon de l' « éveil » nous rappelle à ne pas répéter les erreurs du passé, à ne pas être nostalgiques, à ne pas rêver du futur, à ne pas négliger le présent. Vivons en étant éveillés. Tout ce que nous voyons, nous devons le connaître clairement. La connaissance doit suivre ce qui a été vu. Voir est la fonction des yeux. Connaître est le devoir de l’esprit.
L’esprit est la base, la connaissance instantanée, claire, fidèle, objective et silencieuse. Il appréhende le monde extérieur à travers les six sens : les yeux, les oreilles, le nez, la langue, le corps et les pensées. Cette connaissance est souvent appelée la pensée juste (samma sati) ou pleine conscience, pour la distinguer de la connaissance erronée. Cette dernière fait référence à la connaissance perturbée lorsque l’esprit plonge dans le passé ou se projette dans le futur ou bien s'attache au présent avec des pensées superficielles, discursives et discriminantes.
La pratique essentielle de l’esprit est la pleine conscience. Gardons cette conscience claire, objective, immédiate, silencieuse à chaque interaction avec le quotidien. Quels que soient les objets, nous les reconnaissons tels qu’ils sont. Dans le silence, sans aucune interprétation . Notre esprit s’arrête immédiatement. Cela signifie aussi qu’aucune souillure subconsciente ne peut surgir.
Voici les conditions de la pleine conscience :
- présence obligatoire d'un des 5 sens (vue, ouïe, odorat, goût ou toucher)
- un objet face à ces sens,
- et surtout une connaissance claire.
Lorsque ces 3 conditions sont réunies, leur point de rencontre est appelé la "Connaissance Telle Quelle". On peut aussi l'appeler la Connaissance de l'Étant, ou la Connaissance de l’Ici et Maintenant. Poussons plus loin l'analyse pour mieux comprendre le Tel Quel.
« l'Étant » signifie : Ce qui est présent devant nos sens maintenant. Mais qu’est-ce que "étant" ? Par exemple, nous ouvrons les yeux et voyons le verre d’eau. Cela signifie que le verre était là avant que nous le voyions, et pendant que nous le regardions, il est toujours là. Il y a donc trois temps dans le processus de « l'Étant » : le passé (le verre était là avant qu’on le voie), le présent (en le voyant, il est toujours là), et il ne disparaît pas encore (le présent peut se prolonger dans le futur). En résumé :
- Ce qui était (existant dans le passé) ;
- Ce qui est maintenant (existant toujours);
- Ce qui sera (encore existant, ou sera terminé).
Le plus important est que « l'Étant » est en contact direct avec nos sens.
Pourquoi « Maintenant et Ici » ? « Maintenant » indique le temps, « Ici » le lieu ou l’espace.
Si, pendant la méditation assise, nous pensons à des choses à la maison, c’est une pensée erronée, une illusion. Car nos sens ne sont pas en contact direct avec ces objets qui ne sont pas « ici ». De même, si nous nous souvenons des faits produits dans la semaine dernière ou nous planifions des tâches à accomplir pour demain, ces pensées sont des illusions, des pensées erronées. Ce n'est pas le « maintenant ».
Par conséquent, pour apaiser notre esprit, il doit s’arrêter. Il ne peut se précipiter vers le futur ni retourner dans le passé. Il ne peut s'attacher à ce qui est présent à l’extérieur ou à un autre endroit.
Ainsi, la « Connaissance Telle Quelle » produit des effets immédiats : l’esprit reste immobile. Nous pouvons mettre fin à tout attachement aux trois temps et couper toutes les souillures subconscientes. Nous ne projetons plus de jugements sur les objets perçus. Notre perception devient pure, sereine et objective. C’est pourquoi, l’approche du « Tel Quel » fait naître simultanément le Samadhi (la Stabilité) et le Prajna (la Sagesse).
La Stabilité signifie que notre esprit se tient immobile.
La Sagesse indique que notre esprit s’élève et s’affine vers une vision objective.
Le Sūtra du Diamant dit que lorsque notre esprit est coincé dans les trois temps (passé, présent, futur), c’est un esprit d’illusion. Le passé est ce qui s’est produit et qui est terminé. Le futur est ce qui n’est pas encore arrivé. L’instant précédent est le passé. Le suivant appartient au futur. Ils ne se rencontrent qu'au point appelé « Ici et Maintenant » ou « l'Etant ». Le présent n’existe pas. Le terme « présent » est communément utilisé, mais ne peut décrire l'instant de conscience lorsque les organes sensoriels rencontrent directement leurs objets dans la pratique zen.
Comme dit plus haut, le passé est terminé. Nous ne pouvons rien y faire, que ce soit aimer, regretter ou nous réjouir. Le passé n’existe que dans notre esprit, comme des ombres ou des illusions dans les rêves. Tout est vraiment fini. En se rappelant les souvenirs tristes ou heureux, nos émotions surgissent et affectent notre santé. Cela signifie que nous retournons dans nos rêves, pour le plaisir ou la douleur.
Le futur n’est pas encore là, mais étant encore jeunes et pleins d’énergie, nous imaginons une belle vie. En vieillissant, nous nous inquiétons souvent du futur avec plus de tristesse que de joie. Tout cela est imaginaire et illusoire. Encore une fois, les émotions de tristesse-joie surgissent en alternance et affectent négativement notre bien-être mental et physique.
De même, dans le présent, lorsque nos sens interagissent avec la vie, nous croyons que la perception est vraie. Alors, un mélange de sentiments surgit : amour et haine, colère et tristesse. Il est nécessaire d’avoir un peu de sagesse pour comprendre que la nature de la vie est vide et semblable à un rêve, afin de ne pas rester coincé dans le présent.
Alors comment échapper au trio passé-présent-futur ? Incapables de se réfugier dans le passé pour fuir les souffrances du présent, nous nous projetons dans le futur dans l'espoir d'avoir de meilleurs jours pour oublier le présent. Mais cela ne fonctionne pas non plus. Alors, la dernière voie est de faire face à notre existence d'aujourd'hui. Mais si nous nous accrochons trop au présent, hélas, ce ne sont que douleurs et afflictions.
Le Bouddha nous enseigne une voie unique pour survivre : « Ne pas se projeter mentalement (hors de l’Ici et Maintenant) ».
Dans son quotidien, chacun est toujours en contact avec le monde extérieur à travers ses six sens. Ainsi, nous devons garder notre « Connaissance tacite (silencieuse) ». Ne pas initier des idées de préférence ou de rejet, de louange ou de critique, ni d’inférence. Cela aide notre Connaissance à rester claire et neutre, sans attachement. Notre esprit est alors libre, libéré immédiatement. À ce moment-là, quels que soient les sons ou les apparences des objets, nous les percevons exactement tels qu’ils sont. C’est aussi la Connaissance Telle Quelle.
Alors, « Ne pas se projeter mentalement » peut désigner le Samadhi et la « Connaissance Telle Quelle », temporairement classée comme le Prajna. Les deux nous aident à nous échapper de la « maison en feu » et de nous libérer des chaînes des trois temps : passé, présent et futur, ainsi que des quatre grandes montagnes qui nous écrasent lentement : renaissance, vieillesse, maladie et mort.
Ces deux méthodes sont étroitement liées. Lorsque nos organes sensoriels entrent en contact avec leurs objets et que notre esprit ne s'attache pas à ces objets, notre connaissance de l’Etant de ces entités sera sereine et objective. Et vice-versa, grâce à la connaissance de l’Etant, nous projetons notre esprit sur rien, afin de percevoir l’Etant silencieux et objectif.
En résumé, lorsque nous ne sommes pas pris dans le passé ou le futur, il ne reste que le ksana (), un instant intermédiaire qui nous appartient. Grâce à lui, nous avons la capacité et la force d’être les maîtres de notre vie. Autrement dit, nous vivons simplement et véritablement dans l’instant de « l’étant* ». Alors, nous sommes dans la Connaissance de la nature de la Vision, de l'Ouïe et du Toucher. C’est une Connaissance claire, pure, silencieuse et objective. C’est aussi la pleine conscience et la vigilance.
Si, dans le ksana suivant, nous continuons à être conscients et vigilants, alors nous poursuivons dans le troisième, le quatrième, le cinquième ksana… Ainsi progresse le chemin de la transformation de l’esprit, Elle est aussi si simple que cela. Rien de difficile, de vague ou d'énigmatique. Elle ne demande ni d'efforts excessifs ni de recherches frénétiques à l'extérieur. C’est aussi le chemin de la transformation des karmas. Le trio des karmas (la pensée, la parole et l’action) sera purifié instantanément. Ceux du passé ne peuvent pas se manifester. Ceux du futur ne sont pas créés non plus.
Au final, le chemin du perfectionnement réside uniquement dans un ksana. Un ksana de pleine conscience. Un ksana pour savoir comment vivre. C’est celui de l’étant. Rester dans le ksana de l’étant en permanence. C’est demeurer paisiblement dans le Nirvana.
Vénérable Bhikkhuni Triệt Như
Monastère central, 20 juin 2021
Traduit par Nhất Hòa, relu par Hồng Thuý
(*) ksana (sk) : Dans le bouddhisme, Ksana désigne une unité de temps extrêmement brève, illustrant l'apparition rapide de pensées et d'expériences, et joue un rôle crucial dans la compréhension des cycles de vie et de la dynamique de l'existence.
Source : Suối Nguồn Hạnh Phúc - Bài 10: CHỈ MỘT SÁT NA - tanhkhong.org
- Chỉ một sát na - Triệt Như
© 2022-2024 - Méditation SUNYATA Paris - Hội Thiền Tánh Không Paris