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Michel LE VAN QUYEN : «N’oublions pas que l’oreille n’a pas de paupière»



INTERVIEW - Se taire pour aller mieux. Dans nos sociétés où tout s’accélère, le chercheur en neurosciences décrit les pouvoirs - scientifiquement prouvés - du silence sur le bien-être, le stress, la créativité. Chut… Écoutons-le.

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LE FIGARO. - Un proverbe affirme que «le silence est d’or». Êtes-vous d’accord avec cette expression?

Michel LE VAN QUYEN - Absolument. C’est même une évidence que nos sociétés modernes bruyantes et bavardes ont tendance à oublier. Or, il n’est qu’à renouer avec les grandes sagesses d’Orient et d’Occident pour comprendre que le silence est une notion qui interpelle depuis longtemps les plus grands philosophes. Sénèque en tout premier lieu qui dans la Rome active de Néron conseille de se retirer pour philosopher. Pythagore impose le silence à ses disciples pendant leurs années d’apprentissage. Quant aux religions, elles aussi prônent le silence monastique. Pourquoi? Parce que cela favorise l’introspection, la réflexion, le retour sur soi. Le silence permet de laisser mûrir ses pensées. Dans la société toujours en mouvement qu’est la nôtre, on a oublié qu’il était essentiel de déconnecter, de faire des pauses. Cela doit faire partie d’une hygiène quotidienne. Pas la peine de s’isoler trois semaines dans un monastère à l’autre bout du monde pour cela. Il faut apprendre à s’arrêter, même chez soi.

Chacun d’entre nous a l’intuition que le silence est bénéfique mais est-ce juste du bon sens ou y a-t-il des preuves scientifiques?

Ces questions, je ne me les étais pas vraiment posées jusqu’à ce petit matin de septembre 2017 où je me suis réveillé, la moitié du visage paralysé. Le diagnostic tombe: surmenage! Le médecin me prescrit alors le repos absolu. En quelques heures ma vie doit changer. Chercheur en neurosciences à la Pitié-Salpêtrière, je dois annuler toutes mes conférences, mes rendez-vous. Pendant plusieurs semaines, je suis contraint à ne rien faire, ne rien dire. Un vrai supplice assorti de culpabilité. L’impression d’être devenu inutile. Et puis au bout de quelques jours, le manque d’activité commence à être plus facile à supporter. Mes pensées se font plus sereines. Je prends le temps de respirer, de chasser mes idées noires. Je comprends alors à quel point l’esprit calme engendre «des pensées qui soignent». Petit à petit, je découvre que ce temps de silence intérieur me permet d’expulser tout le stress accumulé et me conduit au final vers la guérison. Interpellé par ce qui se passe en moi, je mène l’enquête et m’aperçois que ce que l’on pressent de manière intuitive, à savoir que le silence est source de bien-être, bon pour la santé, est démontré scientifiquement par les neurosciences. Pendant longtemps, le cerveau n’a été analysé que sous l’angle de l’action et l’on n’envisageait d’améliorer son fonctionnement qu’en le sollicitant davantage. Aujourd’hui, les neurobiologistes commencent à comprendre que pour booster les performances du cerveau, il est parfois utile de faire moins, de se laisser aller parfois à l’immobilité, à l’errance mentale, en d’autres termes, au silence.

Dans une société où chacun revendique le droit à la parole, à la mobilité, expliquez-nous en quoi le silence est bon pour nous?

Le silence permet de nous reposer. C’est même un antidépresseur. La recherche a montré que les périodes d’inactivité permettaient de se débarrasser des toxines que le cerveau génère et emmagasine. Cela pourrait même avoir une incidence sur le traitement des pathologies neurodégénératives comme Alzheimer. En faisant silence régulièrement, on pourrait rendre son cerveau plus résistant au déclin cognitif. La science s’est également rendu compte que les pauses auditives permettaient d’éliminer l’adrénaline, la noradrénaline et le cortisol produit par le cerveau en cas de stress, de peur et de colère en sécrétant des hormones qui permettent aux fonctions vitales de récupérer. Les études prouvent aujourd’hui que le stress chronique expose à un risque accru de maladies coronariennes et peut aller jusqu’à entraîner des problèmes cardio-vasculaires. Alors soufflons et faisons silence surtout!

« Il est parfois utile de faire moins, de se laisser aller à l’immobilité,à l’errance mentale »

S’il apparaît évident que le silence fait du bien, en quoi le bruit est-il pour autant néfaste?

Nous vivons dans un environnement bruyant et bien souvent nous ne nous en rendons pas compte. Faites un tour place de l’Étoile vers 20 heures. Le vacarme y est infernal. Des pointes à 120 décibels y sont enregistrées. L’équivalent d’un marteau-piqueur. Or, on sait que les normes européennes réglementent à 68 décibels le bruit tolérable. Selon l’OMS, 11 % des Parisiens sont exposés à des bruits qui dépassent ce seuil. Paris est la deuxième ville européenne la plus bruyante après Barcelone. Le bruit est une nuisance. Pour preuve, ce chiffre de l’agence européenne qui indique que 10 000 décès prématurés par an seraient liés à des nuisances sonores. Une étude allemande a souligné par ailleurs que des enfants dont l’école était proche d’un aéroport montraient des défauts de concentration majeurs mais aussi de mémorisation et de lecture. N’oublions pas que l’oreille n’a pas de paupière.

Le silence est une notion pleine de modulations. Il y a une variété infinie de silences. Lequel ou lesquels préconisez-vous?

Le silence peut en effet revêtir plusieurs formes. Il peut être corporel, acoustique, attentionnel. Pour que notre cerveau se repose, se ressource, se débarrasse des toxines, se régénère et reconnecte toutes nos fonctions vitales entre elles, il faut un peu de discipline. C’est une denrée rare! Pas facile de ne rien faire dans un monde où l’on bouge tout le temps, où l’on juge notre efficacité à nos performances. Pourtant «buller» est essentiel. Il faut arrêter de culpabiliser. Mais attention lorsque je parle de silence, il faut faire le distinguo entre le silence intérieur et le silence extérieur. Nous devons nous imposer régulièrement un silence intérieur, nous recentrer sur nous. Mais cela ne signifie pas pour autant qu’il faille nous enfermer à double tour dans une chambre. Il est tout un tas de sons qui sont bons pour notre santé.

Quels sont ces sons au pouvoir régénérant?

Une brindille qui se casse, le vent dans les feuilles, un ruisseau qui coule, le chant des oiseaux… Il est prouvé que les bruits de la nature mais aussi les chuchotements, un papier que l’on froisse… sont bénéfiques et permettent à notre cerveau de produire de la dopamine, l’hormone du plaisir. Depuis quelques années, on parle d’ASMR, Autonomous Sensory Meridian Response, une méthode de déconnexion apparue aux États-Unis et qui fait la part belle aux bruits doux et répétitifs entraînant le calme intérieur. Se mettre au vert et quitter le monde urbain a donc un véritable impact sur notre santé. Une étude a ainsi comparé les bénéfices recueillis entre une marche dans la nature et une dans un centre commercial. Pour 71 % des promeneurs dans la nature, le niveau de dépression a baissé et 90 % de ces personnes ont gagné en confiance en elles. Alors que seulement 45 % des personnes de l’autre groupe ont ressenti une diminution de leur stress. Dans la même lignée, un chercheur américain, Roger Ulrich, a démontré que les malades renfermés dans une chambre d’hôpital récupèrent mieux quand ils ont une vue sur un petit coin de verdure. Ils ont moins besoin d’antidouleurs et sortent en moyenne un jour plus tôt que ceux qui voient un parking ou un mur.

Au Japon, on connaît ce phénomène depuis longtemps. On l’a même baptisé le shinrin-yoku ou «bain de forêt». Rien d’ésotérique en la matière mais des observations montrant que si l’on va se promener plusieurs fois par semaine dans les bois, le rythme cardiaque diminue tout comme la tension artérielle. Les défenses immunitaires elles, sont renforcées. Ainsi, deux jours de promenade nous protègent contre les rhumes et autres infections similaires pendant un mois.

Véritable atout santé, le silence a-t-il d’autres bienfaits dans notre vie quotidienne?

Il est crucial pour la mémorisation, la construction de notre intériorité. Écoutez les silences et laissez vos pensées divaguer. Le silence de la nature est ainsi propice à la créativité. Une cure de vert permet même de résoudre bien des problèmes. Selon une étude, des personnes immergées pendant quatre jours dans la nature, sans aucun accès à la technologie et aux distractions, ont vu leurs performances s’accroître de 50 % dans la résolution de problèmes.

Il est un autre silence qui mérite également que l’on y prête attention. Un silence que l’on pourrait appeler plutôt l’écoute. Le silence dans la communication humaine vaut parfois bien des paroles. Savoir écouter, c’est savoir se taire. Nous ne sommes pas habitués à le faire car nous voulons toujours interagir. Cela demande une volonté, un effort, un entraînement. Pour y accéder, il faut faire le silence intérieur, c’est-à-dire de ne pas se laisser envahir par ses propres pensées, souvenirs ou émotions. Les bénéfices sont réellement quantifiables. Un seul exemple, le contact des yeux entre une maman et son bébé. On sait aujourd’hui que c’est un mécanisme important dans le développement du cerveau du nourrisson. Ces premières émotions positives renforcent la construction du système nerveux et immunitaire. À l’âge adulte, nous avons aussi besoin d’être écoutés. Nous nous sentons alors aimés. Il me semble donc primordial d’entretenir une qualité d’écoute au sein de sa famille, avec ses amis, ses élèves, ses patients. Des chiffres publiés en 2006 montrent même que des femmes soignées pour un cancer du sein présenteraient quatre fois moins de risque de décéder dès lors qu’elles ont au moins un ou deux amis sur qui compter. Édifiant non?

Dans le tourbillon de la vie, comment faire concrètement pour s’arrêter, se taire, écouter?

Cela passe par des choses toutes simples. Éteindre son téléphone portable de temps en temps. S’asseoir à la terrasse d’un café et regarder les gens passer. Méditer, s’octroyer des pauses dans la journée, au travail par exemple. Dix minutes suffisent à recharger ses batteries. Il faut alors apprendre à respirer. Six cycles par minute. Inspirez pendant 5 secondes puis expirez. Gardez ce rythme une minute. Vous constaterez alors que l’esprit devient plus clair et que vous contrôlez mieux vos émotions. Faites également des siestes sans sommeil. À l’image de Dali qui fermait les yeux pour se reposer et mettait une clef dans sa main. Quand il s’endormait, sa main lâchait l’objet et le bruit le réveillait. Une façon intelligente de lâcher prise. Battez également des paupières. Il est prouvé que le cerveau par cette simple action fait une pause ultrarapide et désengage son attention de la tâche à effectuer. Comme si chacun clin d’œil passait un coup d’éponge sur le tableau noir de la conscience. Apprenez à vos enfants ces gestes d’hygiène quotidienne. Éduquez-les à l’écoute des autres, ils développeront de l’empathie. Et souriez! Les chercheurs affirment qu’il suffit de se forcer à sourire 60 secondes pour que notre cerveau reçoive un message positif et provoque une baisse du cortisol, cette hormone fabriquée en réponse au stress. Cette sorte de méthode Coué permet de ralentir le rythme cardiaque et d’abaisser la pression artérielle. Le cerveau produit alors des endorphines qui ont un effet calmant. L’ensemble de ces processus se solde au final par un meilleur métabolisme. Simple et efficace!

Michel Le Van Quyen est l’auteur de «Cerveau et Silence» aux Éditions Flammarion.

Par Valérie Ferrer

Le figaro, le 21/05/2019


Auteur : Valérie Ferrer
Publié le : 05-05-2022 - 12:33